Jean Corrèze : peintre, sculpteur et illustrateurJean Corrèze : peintre, sculpteur et illustrateur

Brasiers de neige

 

        Lorsque chaque matin nous renvoie l'écho des tragiques empoignades qui se déchainent aux quatre coins du globe, lorsque les meutes déchirent de leurs crocs les chairs de la planète,lorsque d'aveugles orages brisent de leurs éclairs de foudre et de sang le cristal de nos jours,on comprend la fureur de Dieu devant le gachis que les hommes ont fait de Sa création - et l'on forge le voeu que des pluies salubres s'abattent, une fois encore, sur les puanteurs qui, de tous côtés, nous cernent et nous suffoquent.On rêve d'un monde lavé. D'un printemps neuf sur la terre martirisée.

      Une semblable stupeur s'empare de Jean Corrèze au spectacle du saccage que le quotidien nous jette au visage et l'envie s'impose à lui de purifier notre horizon, de l'ensevelir sous un déluge de neige. Il dessine alors dans l'urgence les contours d'un univers à nouveau habitable et déverse sur ses toiles une manne bienfaisante de flocons,de cristaux de glace. Conscient de soigner un animal blessé, il étend, sur les meurtrissures que l'actualité nous inflige, un baume de givre et de silence. Silence aux bruits de bottes, au fracas des armes, aux râles de mort qui détruisent la musique de la vie ! Silence à tous ces cris de haine qui déflorent notre fraternelle féerie !

      Cest ainsi que notre peintre délaisse les images de désolation, les salissures, pour se lancer sur la piste des trappeurs du Grand Nord et retrouver les blancheurs intactes des vastes plaines. Il s'enivre de l'air des cimes, des espaces infinis, des jeux du vent et des nuages, il descend les rivières sauvages et bivouaque sous la lune avec les pionniers d'antan, les défricheurs des hautes contrées... Car, à celui des fusils, on préfère le crépitement des feux de camps... Aux sinistres comètes incendiant le ciel, on préfère les feux-follets des étoiles, leurs escapades buissonières... Plutôt que le vacarme des mitrailles, on choisit d'écouter bruire les sources, écumer les cascades...d'entendre le brame du cerf au coeur des forêts, le sabot des mustangs marteler le sol de la prairie... Plutôt que le sentier de la guerre, on suit les courses vagabondes des eaux vives dévalant des poches d'ombres des montagnes,des flaques étincelantes qui nichent sous les roches... Plutôt que le casque hideux des soldatesques, on se plaît à regarder pointer, hors du soyeux terrier, le museau des loutres et des marmottes qui s'ébrouent des duvets de leur longue nuit pour embuer l'aurore d'une rosée d'extase.

    Il fait si froid dans ce monde en flammes !... Un peintre nous offre le refuge de ses grottes de glace, nous réchauffe d'un manteau de gel, de ses fourrures de neige, de ses brasiers de givre.

 

 

Henri Zalamansky