Jean Corrèze : peintre, sculpteur et illustrateurJean Corrèze : peintre, sculpteur et illustrateur

Patience de Jean Corrèze

 

Nous lisons Dieu dans le blanc de nos textes,

comme on découvre les éblouissantes pages lyriques du

soleil, sous les ombres épaisses et muettes de la nuit.

Edmond Jabès

 

     Dans le recueillement de son atelier, le peintre est au travail. Le phare d'une lampe balaie la nuit de sa table et l'accompagne dans sa course hauturière, à travers les vagues et le vent, les écueils, les amers. Voici longtemps qu'il navigue,tire ses bords, précis ou plus hasardeux, manie sans faiblir sa godille tenace. Quel démon le pousse à braver ainsi le gros temps,à s'aventurer, sans jamais renoncer, par ces étendues inamicales ?... Sans doute cherche-t-il les meilleures passes pour se glisser jusqu'au havre, où se reposer les membres et l'âme ?... et pouvoir s'exclamer enfin, le tableau achevé, certes, la course fut rude... je faillis y laisser plus que mes forces - mais qu'elle fut belle et voyez le butin que j'ai arraché aux laisses de la mer!...

    En fait, son entreprise est plus audacieuse. S'il traque la houle et le ressac, s'il chasse inlassablement on ne sait quelle baleine blanche, c'est pour trouver la clé de l'énigme-ce qui fait la houle possible - c'est pour remonter à la vague première,aux sources de la mer... La proie sans cesse se dérobe et les sources de la mer sont indécelables. Jean Corrèze le sait, que le poète Edmond Jabès a mis en garde : ce que tu dis ressemble peu à ce que tu essaies de dire... Le peintre avoue volontiers son impuissance à cerner le mystère et poutant il s'attelle sans relâche à ce labeur d'ajointer le puzzle, les pièces de sa patience, et rien ne saurait le dissuader d'aligner ses griffures d'encre sur la toile-dût-il charrier l'éternel rocher, reprendre encore et encore les mailles perdues de l'ouvrage...comme le juif se lamente au pied du mur sur l'absence, sur la parole ensevelie, et tente de trouer le silence de Dieu en traçant jusqu'à lui un chemin de vocables et de prières. Car le voyage n'est autre que le chemin, disait un sage rabbin, le chemin qui mène on ne sait où... Et le peintre poursuit, opiniâtre, sa quête improbable, comme tous les soirs, à sa table de travail.  

 

Henri Zalamansky